vendredi 26 février 2016

La Main Occulte



Sophie aimait Stanley et Stanley aimait Sophie.
Ils avaient fait connaissance dans des circonstances « rocambolesques » et ne s’étaient plus quittés depuis.  Il était tombé amoureux d’elle depuis cette affaire d’escroquerie au sujet de son talent de medium mais la culpabilité d’Howard, son ex-plus vieil ami, avait enrubanné en paquet cadeau leur bonheur.

Il lui avait trouvé un air « magique au clair de lune » et la badait depuis. Elle, était aussi tombée amoureuse de son intelligence et de son charme, mais le premier surtout, ce grand illusionniste élucidant avec brio le mystère de sa médiumnité simulée. Sa clairvoyance pour débusquer la supercherie l’avait vraiment épatée, mais plusieurs années s’étaient écoulées depuis ce prodige intellectuel, digne des plus grands policiers, et elle aurait aimé à présent plus de passion, plus d’animalité, plus de sexe, rêvant de relations plus viriles que poétiques. Qui sait pour imager, on aurait pu dire : plus pour son côté « chien » que policier ? 

Toujours est-il que Stanley n’avait pas saisi le tournant de cette mutation sentimentale et au cours de leurs nombreux voyages, Sophie avait commencé à regarder d’autres hommes, l’air de rien mais pensant à tout. Ce n’est pas tromper, pensait-elle, c’est juste pour prolonger encore cette « magie au clair de lune » qu’il avait tant aimé... 

Elle lui avait donc suggéré de faire une dernière tournée de spiritisme et table tournante, comme des adieux à la scène, mais voyant-là surtout des opportunités de faire des rencontres amicales, juste pour assouvir ses pulsions primales et sans remettre en question son amour pour Stanley à qui elle réservait la primeur de ses sentiments. 

Comme à chaque séance, elle était là au centre des attentions, tenant la main de deux de ses plus proches voisins qu’elle avait choisi au préalable, jetant un œil et un sourire de temps à autre à son « magicien » de mari, puis évoquant l’esprit d’un mort lié à quelqu’un de l’assistance.  La pièce était sombre, ambiance tamisée, et une odeur de vieilles tentures parcourait les narines des participants, endormant sans doute la vigilance de Stanley, assis au premier rang et toujours béat de sa bien-aimée comme au premier jour. 

Immuablement, Sophie  levait le nez au plafond en se cambrant comme une femme en transe, tapant du poing sur la table, pour les esprits sourds, et envoyant un signe à un voisin de table en lui pressant la paume, sentant déjà tout son émoi. Ouvrant alors ses jambes sous la table discrète, elle se laissait peloter dans la pénombre, magie d’une main caressante entre ses cuisses et qui se prolongerait jusqu’à un plaisir de palpation de ses fesses, consentantes. Elle se régalait de tels attouchements à deux chaises de son amour derrière elle, mais qui somnolait, le pauvre. Ces moments là resteraient enfouis pour toujours dans son jardin secret, pas de souci !

 Soudain, elle se ressaisit et pense à tous ces moments perdus où son amour dort à côté d’elle, et qu’elle ne peut pas assouvir avec lui, ces instincts bien naturels chez une femme.

Faudra qu’elle y pense.

Ce n’est pas tromper, après tout.

 Son air magique au clair de lune... ♥

Jack Rackham
 

PS : Sophie et Stanley sont les deux principaux personnages du film de Woody Allen « Magic in the Moonlight » sorti en 2014. Interprétés par Emma Watson et Colin Firth.
Photo du haut.



lundi 22 février 2016

Uchronie



UCHRONIE. 
 
Depuis que je connais ce mot, il m’a toujours fasciné, interpelé, fait imaginer, transporté, cloué.
Et bien sûr, il n’était pas ce que je croyais. Rien à voir avec les extra-terrestres, l’"UFO"logie et autres mots en U que je connaissais. (Poil au)

Ses origines étaient toutes autres… Un certain Charles Renouvier, philosophe français, avait ouvert le compteur de son existence en publiant un ouvrage en 1857 intitulé : Uchronie. L’Utopie dans l’histoire. Utopie, autre néologisme datant de 1516 créé par Thomas More, écrivain anglais aux multiples facettes évoquant par là une réalité idéale et sans défaut…

Charles le montpelliérain s’en servit donc pour approfondir ses propres idées et les semer dans l’esprit des auteurs des générations suivantes. Cette Uchronie, ce « Non-Temps » (U privatif, et Chronos = Temps) abreuvant la science-fiction de nombre de créations en littérature, bandes dessinées et cinématographiques notamment.

Ces histoires alternatives à l’histoire réelle, bien servies à partir du XXème siècle par le développement des technologies, donnèrent quelques frissons et doutes à l’humanité. Telles que l’hégémonie nazie après la 2ème guerre mondiale ou la domination musulmane après ces séries d’attentats dans le monde. Mais ce dernier épisode n’a pas encore rendu sa copie…

Et aussi les influences graphiques de la mode Steampunk ou les enfants d’Orwell partant d’un monde évoluant depuis 1984 (cf.Brazil, de Terry Gilliam). L’Héroïc-fantasy de Tolkien ou la Guerre des Etoiles de George Lucas, tout est bon pour transposer en un an 0 les nouveaux mondes imaginaires, les « geek » les plus convaincus attendant pourtant que le miracle se produise ! Qui sait ? ^^

Ces contrefaçons sont pourtant séduisantes et drôlement plausibles, en effet papillon ou carrément dans un temps hors-contexte : Super ce moyen-âge américain où un Du Guesclin local refait l’histoire des américains et boute hors des livres d’histoires les indiens et Géronimo…

Ici sur ma goélette, j’ai parfois raconté des histoires tirées par les cheveux où je rencontrais Zorro, Superman ou des réalisateurs de Cinéma, mais je savais que c’était pas pour de vrai. Juste pour donner une idée du monde où c’est les gentils qui gagnent toujours à la fin…

Nan mais !

Jack Rackham

PS : Je voulais citer aussi les créations de Bilal, les BD Valérian ou Jérémiah…Voilà, c’est fait !


jeudi 18 février 2016

L'île d'un Nouveau Monde



A peine la réparation de la chaloupe effectuée, nous remontions vers le nord depuis les environs du Venezuela. Plein cap vers Haïti et les îles alentours, la tête était plutôt aux vacances et à la farniente, même si un strip-poker avait mal tourné au point d’être obligé de faire halte à la Martinique pour y déposer une cantinière mutine et résolue à quitter le Poséidon. Chose faite, nous décidions de passer quelques jours plus loin à la Guadeloupe, en souvenir d’une moussaillonne de la jeunesse de Bosco qui lui avait brisé le cœur et le reste. Nous découvrions donc le village de Deshaies, au nord-est de Basse-Terre…

Je ne sais pas si ce fût le temps paradisiaque, la douceur de vivre, les palmiers enchanteurs, la brise doucereuse ou le charme de la patronne du bar-restaurant, mais ce coin des Caraïbes me plut ! Je fis plusieurs fois le tour de l’endroit et j’aimais sa végétation, ses bungalows de bois, ses lézards et ses insectes chauffants au soleil, sa mer tranquille avançant sur un sable chaud et doux. J’étais amoureux de l’endroit et commençais à envisager d’y poser les pénates.

Liza s’avança vers moi, d’une démarche souple et féline, main sur la hanche et plateau assorti à son bandana. Ou plutôt son turban multicolore entourant avec soin sa tête et parée de boucles d’oreilles longues  et argentées. Dodelinant d’une grâce naturelle et avançant avec son sourire à fleur d’œil, des petites pattes d'oie lui donnant les marques de sa tendresse infinie, elle communiquait par télépathie et naturellement, j’attendis qu’elle confirme ma commande :


- Un cocktail Sainte Marie et un Chili, donc.

Sa voix douce au timbre particulier ajoutait à sa séduction, comme si elle descendait d’une peuplade encore inconnue, entre le pêcheur Melba et la Profiterole antillaise. La voir s’éloigner était une félicité de plus, en anagramme d’une pantomime évidente aux airs de demain et à l’accent de toujours…

Je me réveillais comme dans un autre monde, repu de nouveaux parfums et goûts inattendus. Finies les tartes aux fraises et les Mac do de l’île du crâne, je décidais d’une autre vie et d’un autre port.

Nous étions enfin arrivés…


Jack Rackham


Photo du bas : Elizabeth Bourgine, dans Meurtres au Paradis, série.

mercredi 10 février 2016

Recto Versum



Une belle femme entre deux âges. La démarche est lourde et chaloupée, et la rambarde du bastingage accueille son bras avec plaisir…

Elle regarde au loin mais ses yeux ne trouvent rien d’autre que de la mélancolie, pas de bord de mer ou de clocher connu. La nuit noire a déjà avalé le bateau qui s’en va, les flots recouvrant derrière eux les restes de ses souvenirs. Sa beauté animale attire les regards mais elle s’en fout, elle a fait le tour des marins de passage ou des voyageurs de commerce aux valises tatouées des pays du monde.

Sa peau sensuelle luit en phare de haute mer. Il fait chaud et elle rêve d’un sorbet au citron coulant dans sa gorge brûlante. Pourtant elle allume une cigarette et refait un cinéma où elle distribue les rôles et les dialogues comme un metteur en scène. Elle fronce les sourcils, puis fait une moue énigmatique. Sa main contre sa cuisse laisse passer des volutes qui semblent venir de sa peau, dégageant des vapeurs comme en plein hiver.

A pas lents, elle va et vient, mesurant le pont avec grâce et pesant de ses pas en cercles imaginaires. Elle dodeline un peu de des hanches, c’est sa manière d’être et ne peut s’en empêcher…
Passant sa main sur le front, elle écarte quelques mèches blondes et tourne la tête en tordant son cou, pour mieux se faire voir d’un homme. Il est grand, fort et semble la regarder depuis tout à l’heure. Elle lui sourit et s’approche, et commence à faire son numéro.


Elle prend tous les accents et commande une Margarita. Elle raconte sa vie, invente un tout petit peu, il est sous le charme et la dévore des yeux, plongeant dans son décolleté et s’imaginant déjà…

 Elle virevolte, grimpe sur la table du bar et danse en balançant ses cheveux. Ses épaules montent et descendant au rythme de ses yeux qui minaudent de droite et gauche. C’est la fête et Paola se jette à corps perdu dans sa nouvelle vie, son nouvel homme, elle a tout oublié des autres. Des autres qui ?

Puis la pression retombe, elle est fatiguée. « J’ai la migraine ».

Mais elle pense déjà à l’estocade.

Aller à la cabine. 

Passer devant, elle connait les hommes…

Puis donner du rêve.

C’est simple…


Jack Rackham
 
 Photo : Paola Barale