jeudi 29 octobre 2015

La putain du Rio Grande, le Retour

Comme chaque année, Halloween revenait sur le pont du Poséidon qui filait droit toute vers l’horizon à la recherche d’un nouveau port d’attache. Nulle trace sur le bateau d’une citrouille éclairante ou balai de sorcière, seule quelques idées noires occupaient mon esprit et mes bottes dépassant du hamac ne cessaient de se croiser et se décroiser. Le temps lourd du ciel pesant au dessus des voiles se noircissait à vue d’œil et bercé par des vagues puissantes, je me laissais aller au souvenir de Pablo et Patricia qui avait enchanté quelques pages d’aventures rafraichissantes…

Pauvre Patricia ! Son Pablo avait souvent bafoué son honneur et son amour propre mais elle avait gardé son amour pour lui, jusque dans la tombe. Un amour fou qui se prolongerait pour l’éternité, même si vers la fin je ne pourrais plus y assister de visu.

- Même quand vous ne serez plus là, nous penserons à vous, Capitaine !  

Patricia était là devant moi et je la regardais attentivement, comme jamais je ne l’avais fait. Je l’avais créée moi-même après tout, tapant sur mon portable entre mes cordes jadis, mais je n’avais pas prêté attention réellement à son charme ni à ses atours. Ah, les aléas de  la création littéraire…

Les mains sur les hanches, elle avait un joli port de tête sur un cou solide et sensuel. Son sourire semblait une fente gracieuse invitant à sa grâce, ses épaules bien taillées renvoyaient à sa taille fine où se rejoignaient de beaux et longs cheveux noirs. Sa peau douce suggérait des caresses langoureuses et le temps d’un instant, je me pris pour son beau Pablo.

- Pablo est parti chercher mes cigarettes, cela va prendre du temps surtout s’il croise ses amis caballeros au bar-tabac du coin, au bout de l’éternité. Dit-elle en m’adressant un clin d’œil complice.

Elle se tenait près d’un fauteuil comme dans un salon de coiffure et m’invita à m’asseoir. Elle mit ses mains sur mes épaules puis les glissa sous ma chemise. Je sentis les nuages noirs s’en aller au fur et à mesure qu’on s’enlaçait, puis ce fus un long baiser comme on en  voit dans les films de cinéma.

- Pedro ! M’appelât-elle dans un moment d’extase où elle chevauchait mon attirance en mettant les jambes sur mon cou.

Je me rappelais bien l’épisode, que j’avais écrit moi-même, des gorilles macumbas des montagnes mais je me gardais bien d’y faire allusion et sous la lune bienveillante d’Halloween, nous fîmes quand même l’amour comme des bêtes… « Toute la nouit » !

Jack Rackham



jeudi 22 octobre 2015

Une Poupée qui dit non



Les hommes pénétrèrent dans ma cabine à pas discrets, si l’on peut dire pour des pirates aguerris aux abordages et défonçages en tous genres, et s’approchèrent du lit sous la fenêtre qui était l’endroit le mieux éclairé de toute la pièce. Y posant doucement la poupée, si délicatement en fait que je crus à un accident sur le pont dont ils avaient transporté le corps de la victime, ils se mirent tous en rond autour d’elle pendant que je sortais tranquillement de mon coin toilette, car à l’époque les salles de bains n’existaient pas encore.

- Quoi ? Qu’estchque vous… dis-je la bouche pleine d’un produit blanchâtre et mentholé qui venait des Indes. 

Restant muets un long moment, les regards se renvoyaient les uns aux autres et je commençais à soupçonner le début d’une mutinerie. J’avais déjà repéré le grand sabre accroché au mur du fond et mentalement, je commençais un écrémage en règle de ma belle compagnie matinale. Quand un raclement de gorge de Bosco suivi d’un mouvement de menton m’incita à regarder de plus prés cette chose sur une lit.

- Une poupée ? Dis-je. J’avais cru sur le moment à une fille et je m’avançais pour mieux voir.

C’était si étonnant de précision et de réalité que pendant un court instant, je crus bien à une nana. Une de celles que j’avais bien connu dans tous les ports du monde et qui moyennant quelques piécettes avaient embrouillé mes yeux et ébouriffé mon tricorne. Mais non. J’effleurais son visage de mon pouce et je ressentis un frisson comme à mes plus beaux jours de jeune homme.

- C’est drôlement bien imité, dis-je, en comprenant d’un coup le pourquoi du comment.
- Joyeux anniversaire, Captain ! Entonnèrent de concert les hommes, Mildred arrivant avec un grand plateau d’argent et un gros gâteau à la crème couvert de chantilly dessus. 

Soufflant sur les 5 bougies qui allaient avec, je jetais un œil à mon cadeau qui ressemblait vraiment à un joli brin de fille. Fut-ce les bulles de champagne ou l’émotion créée par cette surprise, je commençais à m’échauffer et demandait un peu d’intimité à toute cette compagnie beuglante et ripaillante. En quelques secondes, je fus seul avec ma nouvelle amie et décidais de tenter une approche non équivoque sur mes intentions véritables. Frôlant de mes doigts de velours sa toison brune dépassant du drap, elle ouvrit les yeux plus grands encore et me regarda fixement mais avec douceur, clignotant des yeux comme un jeune chiot. Ses cheveux longs et bruns couraient à côté d’elle sur le lit et je la regardais longuement ayant toujours de drôles d’idées en tête. 

Tout à coup, elle posa sa main sur mon avant-bras et mes poils s’hérissèrent de mes orteils jusqu’à la pointe de mon crâne. J’oubliais alors qu’elle était une poupée et je me mis à la caresser aussi. L’effleurant à peine juste pour sentir sa féminité, j’eus alors des visions étranges, des sortes de récits imaginaires arrivant dans mes pensées déjà confuses mais qui les éclairaient  d’une texture nouvelle. J’étais déjà un drôle de capitaine avec des habitudes littéraires  et créatives qui sortaient de l’ordinaire, mais je sentais là l’expression d’un souffle nouveau, d’une nouvelle inspiration qui me séduisait, captivant mon intérêt et aiguisant mon imagination.

J’essayais de m’approcher un peu plus mais d’un signe de la main, elle me signifia la fin des opérations. J’étais éconduit dans ma propre cabine, le jour même de mon anniversaire, mais je souriais de l’aventure. Elle disparut juste après, comme par enchantement mais je savais que ce bateau recélait bien mystères qu’il pourrait me la rendre un jour.

Je fermais les yeux.

Je posai mon rasoir sur le rebord de la cuvette quand on tapa à la porte. Bosco était là, et quelques hommes derrière lui portant une grosse tarte aux fraises surmontée de chantilly et de quelques bougies. Il s’avança en bafouillant, il tenait quelques choses dans sa main.

 « Un plumier et quelques livres de Jules Verne, ce n’est pas grand-chose mais on a pensé que ce la vous serait utile, mon Capitaine…. »

Jack Rackham

 
 PS : Pour info, mon anniversaire est le 27 juin !

Photo : Claudia Koll

lundi 19 octobre 2015

Qu'elle était verte ma Vallée (John Ford - 1941)



"Je caresse un vieux livre d’images comme pour mieux m’en souvenir, et je revois Ulysse et ses aventures, combattant Polyphème, hurlant en bravant le chant des sirènes, puis revenant tel un mendiant dans sa maison où se vautrent les plus vils des courtisans... L’encre sent bon l’enfance bénie, ses étoiles de poussières magiques à travers les carreaux du grenier, les rêves d’une vie naissante aux saveurs uniques de l’innocence. Ma décision est prise, je pars au loin découvrir le monde, laissant derrière moi les chimères et les courroux. Je remplis mon sac marin de trésors de guerre et regarde une dernière fois ma maison qui me paraissait si grande il y a peu encore, comme les vestiges d’une vie qui ne reviendra pas.  

Je revois le temps des arbres de Noël remplis de cadeaux attachés aux branches en boules scintillantes, je respire les odeurs de beignets au miel et de dinde rôtie, j’entends les rires de la famille réunie, et toutes les choses que je range devant mes yeux comme dans un album jauni que je pourrais ressortir plus tard. Je fixe les portraits pour toujours, des frères et sœurs aux dents blanches souriants de bonheur, du père à la voix grave caressant sa moustache, de la mère omnipotente et apaisante…

Je traverse le village, salue la boulangère puis croise quelques vieux à la peau burinée. Je prends le petit sentier vers la colline puis au sommet me retourne. 

Quelle était verte ma vallée. A moi aussi…"

Jack Rackham

*
John FORD a réalisé "Qu’elle était verte ma Vallée" (How green was my Valley) en 1941. Ce film obtint un succès considérable et cinq Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur.

L’histoire tirée d’un roman de Richard Llewellyn, raconte la vie d’une famille de mineurs au Pays de Galles. Sous l’œil d’un petit garçon (Huw) qui en a une vision magnifiée, interprété par Roddy Mc Dowall. Le reste de la distribution est tout aussi prestigieux tel Maureen O’Hara (Angharad), Donald Crisp (Morgan Père), Walter Pidgeon (Mr. Gruffydd), Sara Allgood (Mme Morgan, la mère), Anna Lee (Bronwyn).

Livre d’images animées et parlantes signé John Ford, on est dans le noir et blanc d’époque et cela va bien avec le sujet. Les peaux sont noires, burinées et les mains trahissent le travail dur et harassant. Les femmes assurent les corvées domestiques et les repas sont des examens de chaque jour où rien ne manque. Les sourires ou les froncements donnent les accents de cette vie pourtant heureuse où l'on sait les usages de l’amitié et de la fête. L’alcool comme dans tous les films de Ford est un médicament ludique et on sent bien cette chaleur humaine propre aux gens humbles et pauvres.

Chacun peut transposer ce film en autant de séquences nous rappelant notre propre histoire, qu’on ne peut toutes les énumérer. Je vous conseille juste de voir ce film…

 


jeudi 8 octobre 2015

Célestine et le Voyant aveugle



J’avais un rendez-vous ! Perdu quelque part entre sept mers et des milliers de terres à la poursuite d’un havre imaginaire, j’avais quand même trouvé le moyen de prendre dans mes filets une moussaillonne. Et si disposer d’un portable d’une autre époque peut aider, il faut aussi prier pour garder la connexion établie et croire en sa bonne étoile… 

Justement, il faisait nuit et le rendez-vous était entre bougie et chaussette même si chien et loup me convenait aussi. On dira que tous les hommes étaient endormis, mais je savais bien que les quarts s’effectuaient plusieurs fois par nuit...

La petite arriva tapante à l’heure, entre bougie et chaussette juste, et accosta sans bruit le Poséidon. 
Vêtue d’une belle robe blanche et de frou-frou à moitié cachés par une capeline noire, Célestine monta à bord telle une hirondelle, touchant à peine le sol et faisant un petit bond à l'atterrissage. Rejetant sa capuche en arrière, elle me sourit alors et je lui rends sa sympathie en lui tendant mon bras.

« C’est par là !» dis-je.

On avait convenu de partager ensemble quelques caches secrètes, nombreuses sur ce navire, et j’avais choisi bien sûr, la plus secrète, la plus mystérieuse, la plus inattendue des pièces en trompe l’œil, un soupirail secret près des cuisines donnant accès aux forces puissantes de la magie et de la piraterie réunies.

Glissant vers ce lieu connu de moi-seul, son architecte et son ouvrier ayant péri malencontreusement juste avant les dernières finitions du navire, Célestine était ébahie de cet endroit sombre et mystérieux où j’avais placé quelques bougies et encens pour plus encore d’ambiance. Je me collais contre elle en commençant une incantation magique d’un Maître Shaolin de ma jeunesse. Drôlement inspiré d’une série télé, je l’admets.

- Tu n’es pas qu’un pirate, Jack. Tu as reçu aussi les enseignements d’un vrai Maître, comme dans la série TV Kung-Fu !
 - Tu connais ? Fronçant les sourcils.
- Bien sûr, le streaming ce n’est pas réservé aux réseaux pirates, Captain ! Avec un joli sourire, et une belle tape dans mon dos en bon camarade. Je toussais.

Je me reprenais et passais à la seconde étape de mon plan, pour épater ma visiteuse. J’actionnais à distance un hologramme qui représentait un personnage fascinant que nous venions d'évoquer.

- Maître Pô ! Acquiesça Célestine spontanément, comme retrouvant un vieil ami.

Ça me faisait drôle de voir la figure de mon vieux Maître, son sourire sarcastique, ses yeux à la pupille dorée configurant sa cécité, et toujours sa voix douce et perçante annonçant dogmes et prédictions. La demoiselle était bouche bée et l’œil docile écoutant mille présages de bonheurs et félicités, donnant toutes les précisions sur ses mariages et ses enfants, et même la couleur des volets de sa maison. Maître Pô avait aussi beaucoup d’humour…^^ 

Pour finir, il ajouta la rencontre d’un grand homme, pas par la taille, qui la subjuguerait par sa fantaisie, son courage et même certaines connaissances dans des domaines qui l’émerveillerait plus que tout autre. Un homme près de la mer, je vois beaucoup d’eau, mais du rhum aussi…
 
Célestine sourit, me regarda tendrement puis la magie s’en alla, et Maître Pô avec. Nous étions presque dans le noir, et je crus bien qu’à un moment elle me frôla la main.

- Un chocolat chaud, lui proposais-je.
- Avec des moustaches alors, me répondit-elle…


Jack Rackham

vendredi 2 octobre 2015

Aziza des Caraïbes




Le beau temps laissait un peu de répit à notre escapade même si les vagues étaient hautes et donnaient un effet de tangage qui me rappelait quelques bons souvenirs de marin. Je me tenais droit comme un i, pour bien sentir l’effet du mouvement et humer l’air à pleins poumons, la bruine s’écrasant sur mon visage comme des milliers de petits coups de fouet.  

Je souriais à cette évocation et je revenais quelques dizaines d’années en arrière à l’époque du Capitaine Longfellows qui avait décidé de nous faire faire le tour du monde, « afin de vous aguerrir à toutes situations » aimait-il nous répéter jusqu’à nous en casser les oreilles. Il n’avait pas eu tort finalement, car une vie et plusieurs commandements de navires plus tard, j’y pensais encore…

Nous étions resté quelques mois en cale sèche à proximité de Madagascar pour cause de réparation du brick goélette « L’Espadon’, un bateau-école de quelques dizaines de mousses, encadrés par tout autant de personnel enseignant, en plus de l’équipage principal qui nous servait de référent. Nous avions pris quartiers au nord-ouest sur l’île  de Nosy Iranja, un endroit paradisiaque où nous fîmes l’expérience de la vie en communauté, avec ses bons et mauvais côtés. 

Tout commença avec les corvées de linge que nous nous partagions et chaque jour, à tour de rôle, deux d’entre nous allaient de l’autre côté du banc de sable à Nosy Iranja Kely, endroit où nulle habitation officielle n’existait. Sauf…

Quelques planches et des feuilles de palmiers disposées plus que construites, abritaient une jeune fille du pays qui servait de lavandière aux navires étrangers de passage, afin de les aider dans leur tâche et prendre à l’occasion quelques pièces d’or. Travail oblige. Pourtant la petite Aziza semblait dénuée de toute cupidité, et tout juste si elle donnait l’impression de s’intéresser à l’argent. 

« Je suis comme le vent qui passe. » aimait-elle à répéter avec un sourire très doux, ponctué de dents blanches immaculées. Sa peau couleur chocolat au lait donnait envie de la toucher tant elle évoquait de la douceur, et sa démarche qui balançait faisait tourner la tête à tous ceux qui l’avait vue, corbeilles à linge sur la tête et main sur la hanche…

Fin stratège, Longfellows avait bien vu le coup arriver et avait partagé équitablement les corvées de linge pour chacun. Ce qui ne fit que reporter le problème, qui se compliqua quand l’équipage et le personnel enseignant se portèrent volontaires pour la corvée de linge.

Certains des jeunes mousses avaient du se confier à leurs ainés, ou plutôt se vanter, car Aziza, outre ses formes et sa peau de pêche, avait des capacités amoureuses très différentes des us et coutumes anglo-saxonnes habituelles. Une absence de tabous et de pudeur quasi-exceptionnelle, une pathologie très rare chez une femme, avait rendu « addict » tous les mousses de L’Espadon.

Chacun avaient encore dans les yeux des souvenirs d’extase et de liberté jamais connus dans des bras, sans imaginer un instant que ce comportement sexuel était naturel et non réservé à leur personne. Aziza était comme ça et je n’ose préciser ici les ébats et attouchements auxquels les mousses eurent droit de sa part…Je pensais moi-même que cet amour était unique et prodigué à moi-seul  ! Je fomentais alors de quitter la marine et de trouver du travail dans la région, pêcheur de crevettes ou quelque chose dans le genre. Ethan économisait déjà pour la ramener aux Caraïbes, pendant que William songeait à la peindre et à en faire son égérie pour une grande carrière artistique. D’autres avaient des idées bien moins nobles ou prestigieuses, et songeaient à l’épouser pour en faire la femme de leur vie. Avec gosses, ménage, vaisselle, et toutes ces choses passionnantes…

Sur ce, le Capitaine Longfellows coupa à tous l’herbe sous le pied et la fin des réparations arrivant, l’embarqua à bord pour une longue traversée de plusieurs mois et à usage personnel, avant de retrouver à Portland bien sûr sa chère et tendre épouse. Mais l’équipage et les enseignants maritimes frustrés, réclamèrent Aziza comme un dû sur le chemin du retour et purent enfin goûter à ce fruit innocent dont ils étaient loin d’imaginer les saveurs. Ce qui entraina le courroux de tous les jeunes mousses mus par une jalousie sans nom.

L’Espadon étant à deux doigts de la mutinerie générale, Longfellows du se résoudre à mettre Aziza dans un canot, alors proche d’une petite île caribéenne avec plusieurs jours de vivre et la moitié de la solde de tous les passagers du bateau-école, finalement reconnaissants.

Et on ne la revit jamais. 

Un remous fit alors sursauter la goélette et je revins sur le Poséidon quelques décennies  plus tard, le tricorne ébouriffé et un peu déçu par moi-même de l’avoir oubliée...


Jack Rackham